LES INSTITUTIONS POLITIQUES
Les institutions publiques sont le pilier décisionnel des projets déployés sur leur territoire : ce sont elles qui définissent les grands objectifs, les cadres économiques, politiques et législatifs . Quels sont les objectifs qui les guident concernant la mobilité électrique ? Quels sont leurs enjeux ? Quel[s] lien[s] ont-elles avec les acteurs privés ? Quels sont leurs rôles au sein des territoires ?
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L’analyse des acteurs “Institutions publiques” se décompose en 5 cartographies des controverses et 3 représentations des imaginaires, à voir ci-dessous.
Celles-ci nous ont mené vers trois questions controversées :
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L’électrique comme solution aux mobilités basées sur les énergies fossiles ne fait pas l’unanimité. Deux raisons principales expliquent la controverse: si les sources d’énergie ne sont pas modifiées, le passage à l’électrique ne fera que reporter le problème qui reste notre trop grande consommation d’énergies d’origine fossile. Deuxième point de tension, les batteries des véhicules utilisent des terres rares (mais aussi les cellules photovoltaïques, et les puces électroniques), or, leur quantité est limitée et l’extraction très polluante, ce qui pose un problème à la fois environnemental et géopolitique.
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Plus spécifique aux institutions publiques, la question de l’origine du changement se pose quant aux mobilités, mais aussi pour toutes les questions de transition. En France, la tradition de l’État expert laisse à penser que ce sont les institutions publiques qui doivent prendre en charge la transition, et lui donner l’impulsion nécessaire. Cependant, d’autres traditions politiques placeraient plutôt le secteur privé dans ce rôle, et présenteraient le marché comme le lieu de résolution de cette tension: un moyen de mobilité efficace et adapté aux besoins des consommateurs, soucieux de leur impact, serait la voie d’entrée vers la constitution d’un marché des mobilités électriques. L’entreprise Tesla représente cet essor par le marché, là où les politiques de la ville en faveur des mobilités douces représentent l’approche publique. Dans ce cadre, les investissements des “Banques du climat” représentent un entre-deux public/privé.
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Une autre question que nous avons repérée concerne les mobilités dans leur ensemble, et à trait à l’organisation de l’espace et à l’aménagement des territoires. Relevant des compétences des collectivités, cette question concerne le rôle des infrastructures et la répartition des activités sur le territoire. En effet, le concept de “ville du quart d’heure” nous permet de réfléchir à une société qui se serait construite autrement, et où très peu de déplacements longs seraient nécessaires. Par là, c’est toute la responsabilité de nos routes et de nos modes de vie qui est remise en cause. La mobilité électrique serait alors une tentative de persister dans une organisation de l’espace non durable, initiée par l’avènement du véhicule individuel. Réviser nos infrastructures et nos modes de vie, ou trouver des moyens de continuer à se déplacer sans polluer, voilà une tension fondamentale pour les institutions publiques.
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Cartographie des controverses
Nos recherches se sont d’abord centrées sur des articles portant sur des institutions publiques françaises, puis européennes. Pourtant, très vite apparaissent des institutions étatiques comme le gouvernement français et l’UE et des organisations inter-gouvernementales telle que l’ONU et ses différents programmes. L’importance des institutions publiques est directement visible sur le sujet de la mobilité électrique, car le tournant de l’électricité s’inscrit dans une transition plus grande ; c’est-à-dire écologique, économique, sociale. Toutes ces transitions ont bien évidemment une composante politique importante puisque ce sont aux Etats d’organiser la coopération entre les acteurs afin de favoriser leur développement économique et de relever les grands enjeux de notre temps. Ces grandes organisations sont même davantage citées que les institutions internationales comme Greenpeace ou WWF, qui sont pourtant très engagées dans la lutte contre le changement climatique et pour le sauvetage de la biodiversité, ce qui témoigne de leur rôle central, à la manière de grands organisateurs auxquels tous les autres acteurs se réfèrent.
Cela est particulièrement visible sur notre première cartographie, où sont représentés les différents acteurs que nous avons croisés lors de nos recherches :
Cartographie des acteurs d’institutions publiques
Voir la cartographie en HD sur GraphCommons.com

Les liens entre nos différents points mettent en avant que les institutions sont toujours en collaboration avec des entreprises et autres acteurs privés comme des centres de recherche dont beaucoup d’universités et des associations. Les entreprises sont beaucoup impliquées car la mobilité est avant tout un enjeu économique dont se sont emparées les institutions privées. Les institutions publiques apparaissent encore une fois comme des pilotes pour mettre en relation les institutions privées et leurs initiatives.
Dans un second temps, nous avons ajouté à cette dernière cartographie un filtre contenant les événements programmés en 2021 abordant le sujet de la mobilité électrique ou de l’énergie électrique. En résulte une cartographie assez conséquente :
Cartographie des acteurs et des événements

Les évènements organisés par des institutions publiques comportent beaucoup de partenaires du secteur privé. En effet, la mobilité est une économie largement appropriée par des entreprises, sous-traitants, assurances ou encore par des agences de conseil ; là où le tournant de l’électricité sera beaucoup plus abordé par des institutions publiques comme l’UNEP (programme environnement de l’ONU), l’IEA ou l’ADEME, qui considèrent les enjeux climatiques et énergétiques comme leurs principales occupations. Cependant, il est évident - comme en témoigne la carte - qu’aucun événement organisé par une institution publique n’est destiné qu’aux autres institutions publiques. Au contraire, elles ont le pouvoir de réunir acteurs privés et publics pour réfléchir sur ces thématiques.
Après avoir réalisé les cartes des acteurs et des événements, il nous est très vite apparu qu’il nous faudrait contacter un spécialiste du sujet. Grégoire Chauvière Le Drian, lui-même administrateur à la Banque Européenne d’Investissement a accepté de répondre à nos questions.
Cartographie de l'interview de Grégoire Chauvière Le Drian

Nous avons tiré de cet entretien les informations suivantes : ces dernières années la question de la lutte contre le changement climatique a pris de l’importance, notamment sous l’impulsion de la COP de Paris, mais aussi de mouvements citoyens comme les Marches pour le Climat. En résulte la formation d’une conviction collective des institutions publiques. Après les annonces est venu le temps des solutions concrètes, et c’est là que les investisseurs institutionnels comme la BEI entrent en jeu. Ainsi 50% de ses investissements concerneront la lutte contre le changement climatique en 2025, contre 25% aujourd’hui. De plus, tout projet à impact négatif ou concernant des énergies fossiles est rejeté.
Un point central de cet entretien a concerné le livre de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, qui a été très commenté dans le monde des investisseurs publics. Dans leur ouvrage, Pour éviter le chaos climatique et financier, les auteurs proposent des solutions telles que la constitution d’une Banque du Climat, dont les investissements seraient concentrés sur la transition écologique et énergétique.
Plusieurs acteurs ont répondu à l’appel, tels que la BPI, la Caisse des Dépôts, et la BEI. En se déclarant “banques du climat”, ces acteurs se donnent pour but la décarbonation de l’économie, ainsi que la relocalisation des activités. Néanmoins une chose est certaine pour notre invité, “l’argent public ne suffira pas”, c’est pourquoi toute exploration du thème de la transition et des mobilités se doit d’impliquer tous les acteurs de la société.
Cartographie des banques d’investissement
(Pas de version HD pour cette carte, la 2nd image est un détail du noeud Afd.fr)


Pour cette cartographie sur Hyphe, le but était d’approfondir le rôle et les particularités de l’investissement dans le secteur des Institutions Publiques pour approfondir les découvertes faites grâce à l’interview de Grégoire Chauvière Le Drian. Hyphe permet, en effet, de rechercher les citations web sur les sites de différents acteurs (crawl). On peut tout d’abord remarquer que les banques d’investissement se citent beaucoup entre elles et ont beaucoup de liens. Elles citent également de nombreuses autres institutions publiques (l’ONU, l’OCDE, l’Union Européenne …) Cela caractérise une certaine interdépendance et de nombreux partenariats. Les banques et structures d’investissement crawlées ne travaillent pas seules, elles font partie d’un réel système d’institutions publiques qui se soutiennent, se consultent et se complètent les unes aux autres. Un autre fait remarquable est l’apparition dans les pages découvertes de nombreux projets liés à la mobilité électrique, sans que cet axe de recherche n’ait été utilisé dans cette cartographie. Cela démontre bien que c’est un enjeu réel et actuel pour les banques et structures d’investissement, et particulièrement en lien pour celles-ci avec les transitions écologiques et enjeux de changement climatique.
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Analyse des imaginaires
Du point de vue de l’analyse des imaginaires, l’analyse des institutions publiques est un peu particulière. Elles n’ont pas en effet d’imaginaire particulier à la mobilité électrique, ce n’est pour elles, qu’une technique parmi d'autres en lien avec les enjeux politiques et environnementaux. On peut tout de même noter que du côté des États-Unis, la mobilité électrique est un des trois piliers de la transition écologique menée par Biden. Le président des USA propose en effet d’investir des milliards de dollars en subventions, prêts et incitatifs fiscaux pour stimuler les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la production de voitures électriques.
Carte postale des imaginaires
Voir la version HD sur Miro.com

Ce panorama des imaginaires globaux autour des institutions publiques est assez conséquent. Nous vous proposons donc de vous exposer nos conclusions en plusieurs temps.
Tout d’abord, l’État français a vu ses prérogatives se renforcer au cours de l’Histoire moderne, jusqu’à occuper un rôle de premier plan dans la définition des futurs possibles. Cette conception, celle de l’État social, donne à ce dernier la prérogative de résoudre tous les problèmes de nature publique (au sens de John Dewey). Nous avons illustré cela par le tableau de La Liberté guidant le peuple, qui reprend cet idéal de l’émancipation permise par l’État.
Ce qui se dessine en filigrane dans les différentes actions institutionnelles, c’est la tentative de construire un monde où formes de vies et valeurs s’accordent, un futur rêvé, presque utopique, d’où la présence de la couverture d’Utopia de Thomas Moore. Ce dernier a en effet décrit le premier un régime politique où les principes qui fondent la communauté sont pleinement réalisés dans la vie de ses membres. C’est tout l’enjeu de la mobilité électrique que d’en faire cette continuation d’une utopie émancipatrice compatible avec les exigences écologiques de notre temps.
Dans un second temps, nous avons relevé différentes figures contemporaines et historiques qui suggèrent le rôle que jouent les institutions dans la construction de l’imaginaire des mobilités du futur. Ainsi, la figure d’Atlas, titan condamné à “porter” le monde sur ses épaules, et celle de Prométhée, qui rapporta le feu à l’humanité, ressortent de notre analyse. Les deux figures représentent ce rôle de l’État, à la fois avant-garde d’un hypothétique progrès, et filet de sécurité pour le plus grand nombre, en véritable gestionnaire des risques. De la même manière, dans la Bible, Moïse guide le peuple juif vers la terre promise, séparant la Mer Rouge en deux pour lui permettre de passer, se faisant gouverneur au sens premier du terme, celui qui oriente. De la même manière, les institutions se perçoivent et sont perçues comme celles qui peuvent rendre possible des changements de nos modes de vie et du monde qui nous entoure qui paraîtraient colossaux et irréalisables.
En juste héritière des institutions du passé, et au vu de la complexité toujours grandissante du monde, la Vè République a conservé un fonctionnement technocratique (ébauché par Napoléon III), comme en témoignent la multiplication des offices et des rapports. L’Ademe est, à ce titre, un exemple de gouvernement sur la base de l’expertise scientifique.
Enfin, il convient de souligner le rôle des institutions dans la promotion et la diffusion des techniques et de certains usages. Dans les années 60-70, c’est le diesel qu’on vantait sur les routes. Aujourd'hui il n’est plus accepté ! (cf. la caricature sur la ville de Paris). C’est l’Etat et ses partenaires qui auront permis de construire les installations nécessaires à la diffusion de l'électricité. D’ailleurs, le débat sur la mobilité électrique se tourne maintenant vers les bornes rechargeables électriques.
L’objectif des institutions publiques est toujours de rendre le plus appréciable possible auprès des citoyens, le territoire qui est le leur. C’est pourquoi un dernier point important à soulever est la volonté de nettoyer le territoire, d’améliorer la qualité de l’air. L’écologie s’arrête, sur ce point, aux frontières. C’est pour la voiture électrique, bien que très polluante, est fortement acceptée par les citoyens et donc les institutions. La pollution est invisibilisée.
Représentation de la mobilité électrique, des enjeux pour les institutions

Sur cette cartographie des imaginaires, nous avons tenté de représenter les tensions observées tout au long de notre travail de recherche. Les institutions agissent en fonction d’une part des citoyens et d’autres part des industries. Entre elles, s'opère un travail collaboratif important. Fort de ce constat, nous avons souhaité définir leurs relations vis à vis de la mobilité électrique.
En raison des mobilisations citoyennes, la mobilité représente aujourd’hui une forme de pression pour les institutions. Pour les industries, cela représente un champ d’innovations. Concernant, les relations internationales, l’objet de la mobilité électrique représente un risque de dépendance (en raison des enjeux géopolitiques d’approvisionnement en terres et métaux rares par exemple). Néanmoins, la mobilité électrique reste une solution aux yeux des institutions.
Les items se répondent et les rapports se définissent en fonction des différentes visions de
la mobilité électrique pour les institutions :
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Entre solution et pression, la solution est une réponse à la pression et à l’inverse la pression sous-tend une demande.
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Entre solution et innovation, la solution déclenche l’innovation mais c’est parfois l’innovation qui apporte des solutions.
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Entre innovation et dépendance, la dépendance freine l’innovation mais d’un autre côté elle engendre la dépendance (si l’on pense aux terres rares)
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Entre pression et dépendance, la pression demande la solution, favorise l’innovation donc accélère la dépendance. Et la dépendance augmente la pression.
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Entre pression et innovation, on est plus innovant dans la contrainte et l’innovation est une réponse à la pression.
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Enfin, entre solution et dépendance, la solution cause la dépendance et à l’inverse la dépendance soumet la solution.
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